A la tête de la commission chargée d’enquêter sur les années Zuma, le magistrat a livré un rapport qui n’épargne personne, au risque de se faire de puissants ennemis.
On lui avait donné trois mois pour enquêter sur le plus grand scandale depuis la fin de l’apartheid. Il a pris quatre ans. Probablement n’en fallait-il pas moins pour transfigurer une commission d’enquête à laquelle peu de monde croyait en machine à lessiver la république. Et faire de lui, à 62 ans, le héros inattendu de la lutte contre la corruption en Afrique du Sud. Mercredi 22 juin, le juge Raymond Zondo semblait lui-même avoir du mal à réaliser qu’il était arrivé au bout de sa tâche lorsqu’il a remis au président Cyril Ramaphosa les derniers volets de son rapport sur les vilains dessous de la présidence de Jacob Zuma (2009-2018).
A défaut d’être rapide, la méthode Zondo est carrée. « Quand vous regardez la profondeur des rapports et le volume d’informations ressorti des investigations, c’est un travail monumental qui a été accompli, sous une pression immense », salue Mbekezeli Benjamin, chercheur pour l’organisation Judges Matter, qui scrute la transparence de la justice sud-africaine. Avec ses deux derniers volets, le rapport sur ce que le pays appelle la « capture d’Etat » totalise 5 437 pages.
Rassemblant les éléments récoltés au fil de plus de 300 auditions, celles-ci racontent comment, entre 2009 et 2018, un président a livré l’Etat et ses entreprises aux Gupta, une fratrie d’origine indienne accusée d’avoir détourné, avec ses acolytes, plus de 3,5 milliards de dollars (environ 3,3 milliards d’euros) en commandes publiques frauduleuses. L’immensité de la tâche et la rigueur du résultat sont saluées de toutes parts, si l’on exclut les voix de ceux qui tremblent à la lecture du rapport. « Le juge Zondo a été exceptionnel, très calme, très méthodique dans son approche », dit Karam Jeet Singh, le directeur de Corruption Watch, une organisation de lutte contre la corruption en Afrique du Sud. Le succès était loin d’être acquis. Quand il est nommé à la présidence de la commission en 2018, Raymond Zondo, alors vice-président de la Cour constitutionnelle, est inconnu du grand public. Il hérite d’ailleurs du poste par défaut. Personne n’en voulait, a-t-il révélé en avril. A la tête de la Cour constitutionnelle, Mogoeng Mogoeng se tourne vers son second après avoir essuyé plusieurs refus : « Je n’ai pas hésité une seconde. Je lui ai dit : “Monsieur le juge, si vous voulez que je le fasse, je le ferai.” J’avais conscience que nous aurions du mal à trouver quelqu’un pour prendre cette responsabilité, j’étais le numéro deux de la branche judiciaire, il était hors de question de me défiler », raconte le juge devant une commission judiciaire.