Les scènes de violences urbaines nous provenant de France font froid dans le dos. Suite au décès du jeune Nahel tué à Nanterre par un tir policier, le pays a pris feu. La jeunesse des quartiers difficiles s’est livrée à des actes de destruction, d’incendies et de vandalisme d’opportunité. Beaucoup a été dit sur les origines de cette colère qui balaie tout sur son passage. À la base, une politique d’état axée sur l’assignation ethnico-religieuse d’une communauté de Français, victimes d’une discrimination liée à l’origine.
Une autre actualité, non étrangère à la première, est également de nature à nous interpeller. Il s’agit de la décision de la Cour suprême américaine de supprimer l’“Affirmative action”, soit la politique de discrimination positive qui, pendant longtemps, a permis à des minorités historiquement asservies d’intégrer de grandes écoles ou de grandes entreprises. Un privilège anciennement réservé à l’élite blanche des États-Unis. Sans cet outil d’égalité des chances, la communauté afro-américaine aurait continué à souffrir d’une ségrégation non officielle, mais consubstantielle à la société américaine.
La conjugaison des émeutes de la jeunesse postcoloniale française et de l’abandon de l’Affirmative action aux États-Unis nous renvoie à la situation des jeunes des quartiers populaires et des régions marginalisées au Maroc. Chez nous aussi, la discrimination bat son plein. Elle n’est pas tant adossée à l’origine ethnique qu’à l’origine sociale. Le simple fait de ne pas avoir le nom de famille qu’il faut est susceptible de vous exclure de la vie professionnelle.
Chaque année, plus de 300.000 jeunes arrivent sur le marché du travail. Entre une économie poussive qui ne génère que 40.000 emplois les bonnes années, le service militaire qui absorbe 20.000 jeunes et les différentes incitations à l’entrepreneuriat comme Intelaka et Forsa, ainsi que les emplois aidés du programme Awrach, environ 60.000 jeunes trouvent de quoi s’occuper momentanément. Le reste rejoint les limbes de la mort sociale, de l’oisiveté et donc de l’exclusion, avec tout ce que cela comporte comme possibilité de déviance, d’accoutumance et de criminalité.
Parmi ces jeunes, les récits d’exclusion sont multiples. Il y a ceux qui, avec 14/20 de moyenne au Bac, n’ont pu intégrer ni architecture, ni médecine, ni une école à forte employabilité, comme l’ISCAE ou l’ENCG. Il y a ceux qui émergent de l’université avec des compétences solides mais qui, n’ayant pas les bons réseaux, n’appartenant pas à une famille en vue, végètent pendant des années, ou sont poussés vers le sous-emploi.
Les réflexes discriminatoires sont à ce point ancrés dans nos esprits que l’exclusion du “pauvre” s’opère avec un naturel presque légitime, enraciné, ne souffrant d’aucun cas de conscience. Nous l’avons vu avec la CGEM où un système de cooptation biaisé donne la part belle aux sœurs, nièces, frères et ainsi de suite. Alors oui, la Constitution prône l’égalité des chances pour tous et les équilibres régionaux. Mais les bonnes intentions de la Constitution ne valent rien devant la cruauté du tri social, lequel privilégie les Marocains bien nés sur tout le reste.
Le fleurissement ici et là d’écoles de la deuxième chance, dont le pionnier fut OCP, est positif. La réforme de l’école publique va dans le droit chemin. Mais de là à pouvoir vraiment modifier le réel, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts. Dans l’intervalle, des générations entières de jeunes issus de milieux populaires passeront par le hachoir social. Pour remédier à ces déperditions, le temps est venu d’appliquer une politique de discrimination positive en fonction de l’origine sociale.
Des quotas doivent tout de suite être imposés aux écoles et universités privées, aux grandes entreprises et aux grands groupes d’intérêts. L’objectif : réserver des places aux sans fortune, sans réseaux et sans patronyme clinquant. Avant d’homologuer une école privée, l’État doit conditionner ce sésame à l’intégration de groupes de jeunes de milieux modestes dans des classes pilotes. Gratuitement.
Avant de signer une convention d’investissement ou d’accorder un avantage fiscal et foncier à une grande entreprise, l’État doit s’assurer qu’un nombre important de jeunes diplômés issus de quartiers ou de régions défavorisés intègrent l’encadrement de l’entreprise. Et, partant, puissent bénéficier d’un sas de mise à niveau à l’intérieur même de l’entreprise.
Trop souvent, des jeunes nés avec une cuillère d’argent dans la bouche entrent en compétition pour des postes avantageux avec des jeunes d’origine sociale modeste. Cet emploi si vital pour le “modeste” est superflu pour le “privilégié”. Mais ce dernier exerce une concurrence déloyale, alors même que, fort d’un réseau, de soft skills et de financements accessibles, il, ou elle, peut se lancer dans l’entrepreneuriat. Seule la discrimination positive sur la base de l’origine sociale est apte à inverser le paradigme de la marginalisation. Qui n’a plus sa place dans le monde civilisé.
Article développé par notre confrère Reda de Tel Quel
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