Entre le 15 janvier et le 12 février 1977, plus de seize-mille artistes, performers et intellectuels de cinquante-cinq pays d’Afrique et de la diaspora se sont réunis à Lagos à l’occasion du FESTAC ’77, alors le deuxième festival international des arts et de la culture noire et africaine.
Des artistes, des écrivains, des musiciens, des universitaires et activistes noirs sont venus des quatre coins du monde, pour la première fois en cinq cents ans, afin de rendre justice à l’Afrique et à ses peuples, dont les arts, la science, l’histoire, la politique et la spiritualité avaient été exploités et occultés par le colonialisme, l’esclavage et le racisme.
Enrichi par ses nouvelles ressources pétrolières, le gouvernement nigérian a saisi cette occasion pour glorifier la puissance de la nation, et a dépensé quatre cents millions de dollars (1,95 milliard de dollars en 2022) dans cette somptueuse production.
De nouvelles routes et voies rapides ont été construites, la place Tafawa Balewa a été rénovée, un lotissement ultramoderne a été bâti pour les invités, ainsi que des hôtels cinq étoiles et un hippodrome. Mais le plus remarquable a été la construction du National Arts Theatre sur le site du marécage de Surelere, à Lagos.
Khadija ELFAH
Décrit comme une « réunion de famille » par le magazine Ebony, le FESTAC a brillamment rendu hommage à l’unité des noirs, dans l’esprit du panafricanisme et du mouvement de la négritude. Durant vingt-neuf jours, les performances et les colloques se sont succédé, avec la participation de personnalités particulièrement novatrices et influentes, notamment les musiciens Fela Kuti, Miriam Makeba, les Mighty Sparrows et Gilberto Gil, la troupe de danse Les Ballets Africains, le lauréat nigérian du prix Nobel Wole Soyinka, ainsi que le poète Haki Madhubuti.
Jeff Donaldson, l’un des fondateurs du collectif d’artistes AfriCOBRA, a eu la charge de diriger la commission nord-américaine du FESTAC. Parmi les cent huit Américains participant à l’événement, on comptait les musiciens Stevie Wonder, Donald Byrd et le Sun Ra Intergalactic Arkestra, les artistes Faith Ringgold, Barkley Hendricks et Betye Saar, ainsi que les écrivains Amiri Baraka et Audrey Lord.
Quant à Marilyn Nance, c’est elle qui a été choisie comme photographe officielle de la délégation nord-américaine. A ce titre, elle a eu un point de vue privilégié sur les événements, et raconte cette expérience unique dans le livre Last Day in Lagos , qui vient de paraître (Cara/Fourthwall Books).
L’Afrique, centre du monde
Marilyn Nance grandit à Brooklyn tandis que se développe le Black Arts Movement, né dans les années 1960 et qui déclinera à la fin des années 1970. Elle assiste à des rassemblements culturels noirs, écoute Nina Simone et Pharoah Sanders, et s’imprègne des messages de Malcolm X. Tandis qu’elle étudie la communication graphique au Pratt Institute, elle pose sa candidature pour exposer au FESTAC ’77.
Elle soumet un portfolio incluant une photo de sa grand-mère, mais n’est pas sélectionnée, et on ne lui retourne pas son dossier. Elle entre alors en action, écrit une lettre à l’artiste Jeff Donaldson, représentant en chef de la zone nord-américaine au FESTAC, pour lui demander d’être photographe officielle de l’événement. Chaque jour elle le recontacte par téléphone, et finit par le convaincre.
« Je venais d’avoir 23 ans et j’avais la chance de pouvoir aller en Afrique – gratuitement », écrit-elle dans Last Day in Lagos. « Le timing était parfait. Une semaine seulement après le début du FESTAC, ABC a lancé la célèbre série télévisée Roots: The Saga of an American Family, basée sur le récit épique du biographe de Malcolm X, Alex Haley, qui retraçait l’histoire de l’esclavage des africains en Amérique durant un siècle, à travers plusieurs générations. Plus de cent-cinquante millions d’Américains regardaient cette émission, qui a battu des records d’audimat, et révélait au public l’afrocentrisme culturel pour la première fois dans l’histoire des États-Unis. »
Le retour en Afrique, dont Marcus Garvey avait fait un thème durant la renaissance de Harlem, prend une résonance encore plus grande. « En tant qu’Africaine, je devais aller au Nigeria. Je me disais : ‘On m’a enlevée à ce continent, mais me voilà, je suis de retour’ », se souvient-elle. « Mais quand je suis arrivée, j’ai réalisé que nous n’étions pas considérés comme des Africains. On nous considérait comme des Américains. C’était la première fois que je me sentais vraiment Américaine. »
Lieux et espaces
A Lagos, avec ses deux appareils, Marilyn Nance jouit d’une liberté de déplacement totale, passant d’une délégation à l’autre, découvrant des individus et des groupes. « Le FESTAC était un lieu de fascination mutuelle », écrit-elle dans Last Day in Lagos.
« Tout le monde était fasciné par tout le monde. Tout le monde participait. Donc, pour moi, il s’agissait d’illustrer la joie…. Nous étions étonnés les uns par les autres : « ‘Qui es-tu ? Tu as une sacrée allure !’ C’était un mois de rencontres, nous voulions tous engager la conversation. »
Là où la langue présente un obstacle, les arts permettent de le vaincre, en fournissant des espaces de connaissance, de sagesse et de compréhension au sein de la diaspora.
Khadija ELFAH
Journaliste HD