L’Égypte a beau être un pays presque exclusivement musulman, où la liberté religieuse a encore du chemin à faire (le journaliste Ibrahim Eissa, qui a été mis en examen en février pour avoir douté d’un miracle du prophète, en sait quelque chose), sa population aisée semble de plus en plus s’affranchir du port du voile. À tel point qu’une enquête de la BBC révèle que les femmes encore vêtues d’un hijab en font les frais : elles seraient davantage discriminées que leurs concitoyennes qui s’en sont débarrassé. Selon la radio britannique, qui a rencontré plusieurs femmes voilées égyptiennes, les milieux fortunés du Caire seraient en effet de plus en plus réticents à tolérer le hijab en leur sein. Ainsi une chercheuse de 25 ans, Mayar Omar, confie avoir du mal à être acceptée dans certains restaurants prestigieux de la ville à cause de son voile. À tel point que le récit de son expérience, partagée par d’autres femmes égyptiennes, a émergé en tendance sur les réseaux sociaux : de nombreuses femmes portant le hijab y livrent leur témoignage concernant des situations de discrimination envers elles, vécues dans divers lieux de la haute société égyptienne. Ces discriminations se rapportent à l’idée que «le hijab ne fait pas partie de la tenue acceptable chez les classes supérieures du pays», selon l’avocate et défenseure des droits des femmes, Nada Nashat.
D’autres investigations de la BBC ont en particulier souligné la difficulté pour les femmes voilées d’acheter des appartements de vacances : le promoteur immobilier La Vista est ainsi accusé de fermer la porte aux clientes portant le hijab, et qui souhaiteraient acheter un appartement haut de gamme sur la côte.
En 2015, 90% des Égyptiennes étaient encore voilées
En Égypte, les discriminations basées sur la religion sont interdites et la BBC, qui a présenté les résultats de son enquête, cite un porte-parole de la Chambre des établissements de tourisme et restaurants qui se scandalise de telles discriminations, estimant que «les femmes voilées ne devraient se voir fermer la porte d’aucun espace public».
Reste que dans les mentalités, le voile est désormais relégué aux couches sociales inférieures. Pourtant il y a quelques années encore, 90% des femmes le portaient, selon la correspondante du Monde à Beyrouth Hélène Sallon. Depuis la révolution de 2011, les appels à ôter le hijab se sont multipliés dans le pays, et de nombreuses journalistes et femmes politiques l’ont retiré. En 2015 l’écrivain et ancien journaliste Chérif Choubachy, qui avait publiquement soutenu les jeunes filles dévoilées, avait été accusé par un magazine féminin «d’insulter l’Égypte», et les caricatures avaient fleuri dans la presse pour faire de son appel un plaidoyer en faveur de la prostitution. Toujours dans Le Monde, une jeune étudiante avait témoigné de l’atmosphère d’intimidation qui la dissuadait d’ôter son voile au cours de ses études : « [Certains étudiants] me punissaient et me menaçaient de recourir à la violence physique. Je n’avais pas de réponse à leur opposer ni la force de faire face à cette pression, donc je cédais», déclarait-elle.